DOSSIER. Agriculture et élevage en mode connectés en Corse
Au dernier recensement, le village ne comptait plus que 65 habitants à l’année, dont les deux tiers sont des personnes âgées. Quant à l’antenne téléphonique installée sur les hauteurs, elle a ses humeurs : « Il y a toujours au moins un opérateur qui passe », rassure Pierre Pellegri, jeune éleveur de chèvres installé depuis 2012 au village avec sa femme et sa fille.
Parce que l’éleveur d’aujourd’hui ne peut plus être en contact toute la journée avec ses bêtes, du fait de ses obligations administratives notamment, certaines chèvres sont équipées de balises GPS.
Cette couverture même minime lui a permis d’équiper son troupeau de 150 chèvres de colliers GPS multi-opérateurs : il peut ainsi suivre à la trace ses bêtes grâce à une application sur son smartphone, reliée aux deux émetteurs portés par les chèvres.
« Quand nous nous sommes installés, nous n’étions pas habitués à l’endroit et nous perdions le troupeau. Des chasseurs m’ont alors parlé de colliers GPS portés par les chiens de chasse. Nous y sommes venus comme ça », explique l’éleveur.
Pour environ 500 euros par collier, plus un abonnement annuel d’une soixantaine d’euros, Pierre Pellegri s’est donc équipé de ces mouchards qui lui permettent de savoir en permanence où se trouvent ses animaux.
« Aujourd’hui, on ne travaille plus comme nos aînés le faisaient. Quand il y avait du monde dans les villages, on pouvait vendre sa production sur place et donc on se déplaçait moins. Aujourd’hui, il faut aller sur les lieux de vente et on ne peut pas être tout le temps derrière son troupeau. Les colliers GPS nous permettent de gagner du temps pour toutes les autres facettes de notre métier : la fabrication du fromage, la logistique, la communication, la livraison... », ajoute-t-il.
Polyvalents, les éleveurs modernes trouvent ainsi dans les nouvelles technologies des alliées précieuses. « Elever, produire, commercialiser, il faut savoir tout faire », observe Magali Gozzi.
Installée elle aussi à Moïta avec son mari depuis 22 ans, elle produit de la charcuterie et de la viande de veau. Non contente de s’occuper de quelque 80 porcs et 35 vaches, elle est aussi très active sur les réseaux sociaux depuis environ deux ans : « Facebook est une vitrine pour l’exploitation.
Les gens peuvent nous suivre toute l’année, voir ce que nous faisons et ce que nous proposons à la vente. Je me sers aussi de Facebook pour organiser mes livraisons à Bastia, par exemple », illustre Magali Gozzi.
A Moïta, Magali Gozzi se sert des nouvelles technologies pour se faire connaître auprès de sa clientèle
Un post Facebook, une date, un lieu de rendez-vous, et le prisuttu ou le lonzu trouvent preneurs. Et quelques fois, certains franchissent la barrière de l’écran pour venir rendre visite à Magali et ses cochons : malgré la pluie fine de la mi-avril, une famille de vacanciers venus de Lorraine a ainsi trouvé le chemin de Moïta grâce au web.
« Nous avons vu des adresses sur le site de la Route des sens, et nous avons regardé ensuite sur Facebook. Nous nous sommes aperçus qu’il était possible de visiter l’exploitation, ça aurait été dommage de ne pas venir », observent ces touristes qui repartiront avec un sac bien chargé en charcuterie locale. « Facebook permet de rester en contact avec des clients qui viennent de loin, ensuite ils repassent des commandes », note Magali Gozzi.
Dans un contexte économique loin d’être facile pour les éleveurs corses, les réseaux sociaux permettent d’élargir la clientèle. Mais aussi de communiquer entre professionnels et de défendre son métier : « Pour nous défendre contre les industriels, il faut s’unir, estime Pierre Pellegri. Dans le monde associatif ou syndical, nous communiquons beaucoup par mail pour travailler en commun. J’utilise plus internet maintenant que quand j’étais citadin ! »
Souvent cité en exemple pour son utilisation des technologies numériques, le village de Cozzano, dans le Taravo, se fait désormais appeler « smart paese ». Un projet mené par des chercheurs en sciences de l’environnement de l’université de Corse va bientôt permettre d’optimiser la gestion de l’énergie et des activités agricoles de ce village de 300 âmes perché à 700 mètres d’altitude.
Parmi les applications développées, celle qui sera utilisée par Dominique Cesari pourrait être un prototype prometteur : l’éleveur de cochons va équiper ses bêtes de puces électroniques afin de connaître leurs déplacements sur leur parcours de 500 hectares.
Des colliers connectés lui permettront ainsi de savoir ce que mangent ses 500 bêtes, comment elles s’adaptent aux périodes de sécheresse, mais aussi avec qui elles s’acoquinent afin de limiter la consanguinité et de connaître précisément les dates de mise bas des truies.
Une fois transformé en coppa ou en lonzu, l’animal livrera toute sa biographie au consommateur grâce à un QR Code reprenant les informations stockées dans la puce : les exigences croissantes en matière de traçabilité obligent les éleveurs à être précis.
Plus qu’un gadget, les technologies numériques pourraient ainsi devenir de véritables outils de travail pour les prochaines générations d’éleveurs.
Si internet permet de communiquer avec l’extérieur, la couverture 4G est « un outil, pas une solution miracle, juge Magali Gozzi. On nous parle de télétravail, mais il faudrait déjà qu’il y ait du travail ! Ce qui peut se faire à distance, ce sont des activités de services, de conseil, ou de commerce sur internet. Mais si tu es au village et que tu dois livrer ou même faire un envoi par La Poste, tu dois te déplacer ».
À Moïta, le bureau de poste a fermé cette année. La gendarmerie a déménagé depuis longtemps et il ne reste même plus une boulangerie pour faire vivre le village. Ne subsiste qu’un bar, dernier rempart contre la désertification : « Quand le bar d’un village ferme, on sait que c’est la fin », soupire Magali Gozzi. Qu’il y ait la 4G ou pas, les jeunes couples ne viennent plus s’installer à Moita : l’école la plus proche est à Alistro, soit 22 kilomètres de petite route en lacets. Le collège est à Prunelli di Fiumorbu, soit plus d’une heure de trajet à l’aller et au retour.
« On ne cesse d’entendre qu’il faut faire revivre les villages mais quand on demande si notre fille peut bénéficier du transport scolaire, on nous répond que le car ne monte pas pour un seul enfant. Mais s’il montait, peut-être que cela inciterait les gens à venir vivre ici et à en faire d’autres, des enfants, pense Pierre Pellegri. Le réseau internet, la 4G, on ne peut que s’en réjouir. Mais ça ne suffira pas à ramener du monde dans les villages. »
Loin d’être en reste face aux éleveurs, les agriculteurs trouvent aussi dans les technologies numériques des moyens d’optimiser la production et de mieux gérer les ressources. Face à la menace de sécheresses récurrentes en Corse sous l’effet du changement climatique, de nombreux agriculteurs se sont équipés de sondes pour arroser « moins, mais mieux » : environ 500 sondes dites « capacitives » ont ainsi été installées par la société agenaise Agralis en Corse.
L’arboriculture, notamment la production d’agrumes en Plaine orientale, mais aussi le maïs, le fourrage, la viticulture... Toutes les productions végétales s’intéressent à ces sondes qui mesurent avec précision l’humidité et la température des sols : des informations précieuses qui évitent les arrosages inutiles, permettent de réduire la consommation d’eau d’une exploitation de 20 à 30% et d’améliorer la santé des végétaux.
Même constat à Cozzano, où le producteur de safran bio a placé des capteurs sur sa parcelle de 3 000m² de crocus sativus : il pourra ainsi collecter des informations climatiques précises et des données sur l’hygrométrie du sol, sa composition chimique, son niveau de compactage… En comparant ces informations avec le volume des récoltes, il espère ainsi améliorer son mode de culture. Et viser, encore plus qu’aujourd’hui, l’excellence de ses produits.
Sur corsematin.com, par Audrey Chauvet, le 6 Mai 2019