Cozzano, le village corse à la pointe de la technologie
L'exploitation de safran de Cozzano, comme d'autres zones du village, est équipée d'une station météo et de différents capteurs. © ANNE-SOPHIE TASSART
A Cozzano, petite commune dans le sud de la Corse, depuis environ 30 ans, le maire Jean-Jacques Ciccolini a adopté une politique favorable au développement durable, prônant les énergies renouvelables. Quel meilleur lieu alors que ce village paisible situé à 700 m d'altitude pour tester les outils connectés destinés à une consommation raisonnée des énergies ? Une équipe composée de 7 enseignants-chercheurs et de deux ingénieurs de l'Université de Corse-CNRS, en partenariat avec EDF et la société corse SITEC, s'est donc mise au travail afin de faire de Cozzano un véritable Smart Village, un lieu de vie intelligent et responsable.
Pas question pour les chercheurs de débarquer dans la commune avec leurs gros sabots : le changement se veut progressif, non-intrusif. Les écoliers ont donc volontairement été associés au projet : ils ont par exemple créé un journal permettant de tenir au courant la population sur l'évolution des travaux. Des étudiants vont aussi à la rencontre de la population : ça discute énergie renouvelable et objets connectés autour d'un café. "Les écoliers comme les étudiants sont de très bons vecteurs de communication, explique Thierry Antoine-Santoni, vice-Président de l'Università di Corsica, en charge du Numérique et de l'Innovation. Et nous n'avons pas encore rencontré d'habitant opposé au projet. Il y a des questions mais pas de rejet", poursuit le chercheur qui s'évertue à saluer chaque personne croisée dans Cozzano.
Heureusement, car le Smart Village peut devenir à terme un véritable atout pour la population. "L'objectif est de collecter des données et de les analyser pour rendre service aux habitants par exemple en notant la consommation d'eau en temps réel mais aussi en étant capable... de la prédire !", poursuit M. Antoine-Santoni. Ce rôle là sera celui d'une intelligence artificielle capable de simuler les besoins des habitants. Cette "Smart Entity" pourra ainsi aider le maire à anticiper les changements de son "système" : consommation d'eau, d'électricité ou de n'importe quelle autre ressource. "On veut également que ces informations poussent les gens à changer leur comportement sur l'utilisation des énergies, espère Thierry Antoine-Santoni. C'est notre pierre à l'édifice dans la lutte contre le changement climatique".
Mais pour nourrir l'IA de données, il faut avant tout les collecter. Sur un balcon de la mairie se trouve un détecteur de particules fines et d'ozone mesurant la pollution. A côté, on croise la chaufferie biomasse mise en service en octobre 2016 qui permet d'alimenter tous les bâtiments communaux du village. Elle assure une économie de 13 tonnes de fuel par an.
La chaufferie biomasse alimente tous les bâtiments communaux © Anne-Sophie Tassart
Un peu plus loin, en hauteur, on découvre la centrale qui fournit de l'eau aux habitants mais également de l'énergie grâce à sa turbine avec une production de 400.000 Kwatt/an. Inaugurée en octobre 2017, elle sera, comme la chaufferie, connectée au système fin 2018. L'objectif visé est simple : qu'à terme, la commune produise plus d'énergie qu'elle n'en consomme.
La turbine permet de fournir de l'énergie au village. © Anne-Sophie Tassart
Les chercheurs ne veulent pas seulement aider le village avec des données, des informations difficilement appréciables dans son quotidien. C'est pourquoi le coup de pouce est parfois plus direct comme dans la caserne de pompier où une station météo a été installée. La force du vent, le cumul des pluies sont autant d'informations importantes pour les pompiers dans leur lutte contre les feux de forêt. "Les véhicules sont toujours placés aux mêmes endroits sur le terrain, explique Anthony Nadotti, responsable du pôle risque de la caserne. Avec les informations issues de la station météo, on pourrait par exemple les placer à des endroits stratégiques". Un boîtier "intelligent" à mettre sur le casque des pompiers est aussi en préparation. Il permettra de localiser les intervenants et, grâce à son accéléromètre, de savoir s'ils sont bien en mouvement.
Non loin de la caserne, les cochons n'ont pour le moment plus de collier autour du coup à cause d'un problème technique (les batteries au lithium risquaient de s'enflammer) mais l'objectif est bien de les rééquiper très prochainement. Car ces animaux, facilement observables au bord des routes, sont en libre parcours. Il s'agit d'une véritable volonté des éleveurs bien que cela complique leur métier : pas facile en effet de retrouver un cochon libre de gambader à sa guise dans le maquis. Le collier permet donc de connaître la position de l'animal et l'accéléromètre intégré renseigne sur son activité permettant entre autres de savoir s'il est blessé, une technologie semblable à celle utilisé pour les pompiers. "Cet outil permet déjà à l'éleveur de retrouver ces bêtes plus facilement et donc d'éviter de les poursuivre en 4x4 ce qui limite la pollution, sourit le chercheur. Ensuite un animal qui ne bouge pas est peut-être mort. Retirer son corps évite qu'il ne soit pas mangé par ses congénères et donc la propagation des maladies".
© Università di Corsica
A proximité, c'est Sylvain qui a profité des nouvelles technologies apportées par l'université pour mieux gérer son exploitation bio de safran. "En Corse, cette production est encore récente. Il manque une certaine maîtrise technique, explique volontiers l'exploitant. Avec le temps, le sol s'appauvrit et je manque d'éléments pour savoir si cette terre, d'abord adaptée, l'est toujours". C'est dans ce contexte que les capteurs placés dans son champ démontrent tout leur intérêt : "Ils donnent des informations sur le sol et permettent donc une irrigation raisonnée de l'exploitation, poursuit Sylvain. "Il s'agit aussi d'optimiser la production et d'économiser mon temps". La floraison du safran se produit lorsque le gradient jour/ nuit est important ; le cultivateur espère que la station météo et les capteurs pourront l'aider à la prédire de manière plus précise.
Toutes les données récoltées dans le village sont transmises, via une antenne située sur l'église, à Bastia, où elles sont stockées à la SITEC pour ensuite être exploitées par les chercheurs. Ces derniers vont bientôt pouvoir s'installer dans une bâtisse située au coeur du village. Pour le moment en piteux état, elle devrait devenir après quelques travaux un véritable QG pour l'équipe tout en se fondant dans le décor. Cozzano est peut être à la pointe de la technologie mais celle-ci sait se faire discrète pour ne pas trahir l'identité du village.
Sciences et Avenir, Par Anne-Sophie Tassart le 14.10.2018 à 14h00