Après les « smartcities », peut-on parler de « smart-campagne » ?
Bien souvent dans le langage courant, le terme de plus en plus utilisé de smartcity fait écho à une grande ville, à une métropole qui se trouve à la pointe de la technologie. Elle apparaît également comme le synonyme d’une réelle avance technique en matière de connectivité à Internet, de réseaux intelligents et de haut débit notamment. Encore trop souvent, la « ville intelligente » est perçue comme une cité à la limite de la science-fiction, presque une cité futuriste que l’on pourrait facilement retrouver dans les films tels que Minority Report ou le Cinquième Élément…
Si Tom Cruise et Bruce Willis déambulent effectivement dans des villes ultra-connectées et ultra-intelligentes, cette notion de réseaux numériques hyper développés ne suffisent pas à constituer ce qui est aujourd’hui appelé une smartcity : ce terme cache en réalité un aboutissement bien plus subtil qu’une bonne connexion à la 4G.
Par les adjectifs « smart », « intelligente », on comprend que la ville doit avoir une vision à la fois très globale mais aussi très fine sur les enjeux urbains. Bien sûr, le principe de création, de collecte et de traitement de grandes bases de données semble être dans ce contexte inéluctable afin de devenir « intelligente ». Mais ces big datas doivent pouvoir se mettre au service des citoyens, des habitants de la ville et de son développement. Cela signifie qu’être « smart » implique d’être connecté, mais surtout de savoir adapter l’usage des technologies dans le but de répondre aux besoins de la population locale. Il y a donc une interaction systématique et continue entre les besoins de chacun, les consommations et les modes d’habiter la ville de tous les citadins concernés.
Si les données créées sont pilotées par les différents services de la ville, c’est en revanche à travers une action citoyenne que l’intelligence collective pourra être mise au profit de l’urbain ; un territoire ne peut être « smart » que s’il intègre ses habitants dans l’ensemble de ses projets et dans la globalité de sa gestion.
À Los Angeles par exemple, la collecte des déchets est largement optimisée grâce à la présence dans certains conteneurs et poubelles de capteurs permettant d’indiquer un récipient rempli d’ordures et qu’il est temps de vider. Les trajets des éboueurs en deviennent ainsi bien mieux adaptés et les coûts de gestion diminuent. Certaines entreprises proposent également à des particuliers ce type d’élément connecté qui permet de tendre vers une ville plus propre, mieux optimisée grâce à l’ensemble des données récoltées et analysées.
Nous pouvons donc comprendre que rendre une ville « smart », doit principalement répondre au gros défi actuel qui est celui de la transition écologique, numérique et économique de nos territoires. En ce sens, tous les domaines urbains doivent être concernés par cette approche numérique et collective. De la mobilité à l’éducation, en passant par la santé, la gestion des déchets ou encore par la consommation énergétique, tous les acteurs de la ville ont un rôle à jouer pour participer au développement durablement intelligent de leur territoire. Cela contribuera en effet à répondre aux besoins de chaque citoyen dans le respect de la société, de la planète et de ce qui définit le monde urbain. Cette contribution citoyenne, si elle est opérée de manière cohérente et globale, apportera immanquablement une meilleure performance et un usage de la ville optimisé.
L’idée de ville intelligente n’est pas nouvelle : déjà depuis les années 70, les grandes villes qui se développaient notamment en Asie ou au Moyen-Orient, mettaient en place des systèmes de gestion numérique dans l’optique d’une ville durable. Dubaï ou Singapour par exemple sont d’ailleurs devenues aujourd’hui à la pointe de la technologie en matière de villes connectées et respectueuses de l’environnement. Dans la cité-état de Singapour, une forêt artificielle a été « plantée » au cœur de la ville en 2012 dans le but d’apporter aux habitants l’énergie propre dont ils ont besoin. Parmi plus de 100 hectares, des « super arbres » abritent plus de 150 000 plantes de 600 espèces différentes ! En plus, ces structures peuvent capter l’énergie solaire avant de la redistribuer aux citadins.
Si les exemples précédemment cités mettent en lumière des métropoles, des communes plus modestes peuvent elles aussi être qualifiées de « smart ». Et les plus petits villages n’en sont pas exclus non plus ! Il apparaît en effet que pour être définie comme étant intelligente, ce ne sont pas des réseaux futuristes ou à la pointe de l’innovation technologique qui seront nécessaires. L’idée de réseaux numériques et d’analyse de données globales n’est qu’un outil qui permet à toutes les innovations de créer un territoire durable, quelle que soit sa taille, même en milieu rural ! D’ailleurs l’agriculture est déjà actrice depuis plusieurs années de cette transition numérique et technique, par exemple avec l’apparition de la mécanisation et l’automatisation de la traite des vaches, ou même le développement des tracteurs autonomes, guidés à l’aide d’un signal GPS…
Les communes rurales ont par ailleurs souvent de grandes surfaces de terres qui ne sont pas encore urbanisées. Avec parfois des contraintes budgétaires plus importantes que dans les grandes villes, les petites communes cherchent de plus en plus à adopter des démarches innovantes en matière de production et de consommation d’énergie. Les objectifs de ces communes sont ainsi de répondre favorablement à leur manière à la transition énergétique, par l’accroissement des mobilités douces et d’une consommation responsable des ressources naturelles.
En Bretagne, le petit village de Saint-Sulpice-la-Forêt dans l’Ille-et-Vilaine est la preuve que les smart-villages peuvent exister. Avec seulement 1500 habitants, cette petite commune a initié dès 2015 un partenariat entre deux start-up, les services publics et l’Agence locale de l’énergie et du climat dans le but d’élaborer des méthodes innovantes de réduction de la consommation énergétique de six bâtiments administratifs. L’idée est d’installer 27 capteurs de consommation d’eau, de gaz, d’électricité, de température et d’humidité de manière à pouvoir gérer précisément les dépenses de la commune. Résultat, un an après la mise en place de ces dispositifs, 15 % d’économies ont déjà été enregistrés, l’objectif étant d’atteindre au moins 20 % en 2020. Pour ses efforts en faveur de la transition, la plus petite smartcity du monde a d’ailleurs été récompensée par un Marianne d’Or. De quoi donner envie à d’autres village de s’en inspirer !
L’idée d’un village qui devient exemplaire en matière de technologie, d’innovation ou de gestion de base de données en faveur de la transition énergétique peut paraître futile voire insignifiante tant leur influence semble anecdotique face à celle des métropoles. Pourtant, il est clair que l’intelligence des territoires, en particulier en vertu d’une transition globale doit également passer par les communes plus modestes afin de tisser un maillage le plus complet possible entre tous les territoires, à toutes les échelles.
De plus, un nouveau processus se met aujourd’hui en place entre les grandes agglomérations et leur environnement rural. Si la tendance était davantage à un exode rural, donc de la campagne vers la ville, il s’agit aujourd’hui d’une tendance inversée qui entre en jeu. Cela signifie que les communes rurales attirent de plus en plus de citadins, habitués à un confort de vie urbain et connecté. C’est donc en partie par un désir croissant des ex-citadins à conserver ce confort technologique en milieu rural que la mise en place de dispositifs intelligents tend à s’accroître.
Sébastien Côte, président des rencontres « Ruralitic » qui promeuvent l’essor des smart villages, a lancé en 2015 un Manifeste des smart villages dans le but de fédérer les acteurs qui agissent pour la transition énergétique en milieu rural. Par ce document dans lequel de nombreux engagements sont répertoriés, on comprend bien qu’être « smart » n’est pas qu’une question d’Internet et de programmes futuristes. Il s’agit surtout d’une conscience, d’actes collectifs et sociaux, qui garantissent la mise en place de solutions durables pour le territoire. La participation active des citoyens, l’entrepreneuriat local, la mise en réseau des habitants, des dispositifs d’alimentation en circuit court… c’est aussi tout ça, être smart !
Rendre les villages intelligents, c’est donc la garantie d’une attractivité et d’un dynamisme locaux renforcés dans un contexte économique, social et environnemental équilibré. Selon les échelles, qu’il s’agisse de métropoles ou bien de plus petits villages, chaque territoire peut ainsi jouer un rôle dans la transition énergétique à travers la mise en place d’innovations collectives. Être smart est donc bel et bien à la portée de tous et il s’agit même d’une réelle nécessité pour le monde de demain !
Sur Demainlaville.com, le 22 Mars 2018