La ruralité veut ses "Smart Campagnes"
Au lieu de "smart city", d'aucuns préfèrent parler de "smart territoires". Une manière de rappeler qu'il n'y a pas de raison que seules les villes profitent de ces technologies, qui intéressent aussi les communes rurales et périurbaines. Mais avant même d'entrer dans des considérations de smart city, certaines doivent déjà régler un problème de connectivité. "Même si on peut faire des choses sans, le très haut débit est une des priorités pour ces communes, d'autant que c'est une demande des usagers", confirme Cédric Verpeaux, responsable du pôle villes et territoires intelligents à la direction des investissements de la Caisse des dépôts. Pour celles qui ont déjà passé cette étape, il faut ensuite surmonter un certain nombre de barrières spécifiques aux petites collectivités.
La plus importante est financière. Les petites communes ont des ressources limitées, ce qui réduit leurs marges de manœuvre en matière de smart city. Dans un effet de cercle vicieux, leur petite taille et leur petit budget privent ces collectivités de nombreuses offres de smart city de grandes entreprises. Celles-ci savent qu'elles ne peuvent pas vendre leurs services aux mêmes prix que dans les grandes villes et ont donc du mal à être rentables à une plus petite échelle, explique Cédric Verpeaux. "Et c'est aussi difficile pour les start-up qui font face à la complexité de la commande publique : faut-il s'adresser à la commune, à l'intercommunalité, au syndicat énergétique, au Département ?".
A cela s'ajoutent des problèmes de ressources humaines. Dans les villes de quelques milliers d'habitants, les collectivités n'ont pas les compétences en interne pour gérer les systèmes de smart city. Et dans celles de quelques dizaines de milliers d'habitants "les équipes informatiques sont occupées par ce qui existe déjà", affirme Jean-Marc Lazard, PDG d'OpenDataSof, dont l'activité consiste à transformer l'open data des villes en données standardisées, applications et interfaces de programmation applicatives (API). Outre les grandes villes, la société travaille avec des municipalités de 15 à 20 000 habitants et même quelques communes de moins de 2000 âmes.
Sans représenter des remèdes-miracle, des solutions existent pour aider les communes rurales à dépasser ces problèmes. "De plus en plus d'industriels proposent du SaaS dans la smart city," explique Cédric Verpeaux. Par exemple avec le "lighting as a service". Se mettre à l'éclairage intelligent requiert d'équiper les lampadaires en LED, un investissement rentable mais dont le coût initial peut-être une barrière. "La ville ne paie rien, l'industriel change tout le parc de lampadaires avec des LEDS, s'occupe de la gestion intelligente et la ville paie seulement un abonnement. Elle y gagne moins que si elle avait tout fait elle-même, mais n'a pas à avancer l'argent."
Plus généralement, les petites communes peuvent s'unir pour mutualiser les coûts. Des syndicats numériques au niveau départemental et régional, comme Mégalis en Bretagne ou le groupement d'intérêt public e-Bourgogne-Franche-Comté fédèrent un certain nombre de villes. Ils achètent des services dont chaque membre peut ensuite bénéficier via un abonnement. Ces organisations ont aussi un rôle d'accompagnement et de conseil, ce qui en fait des sortes de "DSI externalisées", précise Jean-Marc Lazard. Cédric Verpeaux ajoute que "de plus en plus de sujets smart city peuvent passer par l'intercommunalité, qui pilote par exemple la gestion des déchets."
Les petites villes et villages qui ont su surmonter ces obstacles se concentrent sur les solutions smart city les plus basiques, qui fonctionnent le mieux et apportent un retour sur investissement certain, comme l'installation de systèmes de gestion intelligente de l'eau et de l'électricité. D'autant que la petite taille de ces collectivités rend ces projets relativement simples à mettre en place. Certaines technologies sont même plus efficaces à la campagne que dans les villes, affirme Cédric Verpeaux, illustrant son propos par la gestion intelligente des déchets. Le principe : des capteurs mesurent le volume de déchets jetés depuis chaque poubelle dans le camion-benne pour moduler en conséquence la taxe sur les ordures ménagères des habitants. "Dans les grandes villes, il est beaucoup plus compliqué d'organiser ce tri et de modifier les taxes car il s'agit de bacs de poubelles collectifs au niveau des immeubles".
Autre besoin dans les petites collectivités : la mobilité. L'offre de transports y est faible ou inexistante, à cause du manque de demande qui les rend impossible à rentabiliser. Certaines collectivités s'intéressent donc à l'autopartage pour compléter cette offre, ou proposer un véhicule d'appoint à leur administrés qui ne pourraient pas disposer du leur, explique Bruno Flinois, PDG de la société d'autopartage Clem', spécialisée sur les zones périurbaines et rurales. Dans les plus petites communes, "il s'agit d'un service public sans opérateur qui n'a pas vocation à être rentable", estime-t-il. Il prend l'exemple de la commune de Tinchebray (Orne) et ses 2 600 habitants. "Le maire a fait installer deux de nos voitures électriques en autopartage. Nous gérons l'électricité et l'entretien. Ça lui coûte 800 euros par mois et il rembourse une partie de nos frais de gestion grâce aux locations." En revanche, dans les communes périurbaines, il est déjà possible de développer une offre plus élaborée au niveau des intercommunalités, poursuit Bruno Flinois. "Elles achètent les bornes de recharge, utilisent leurs véhicules ou les nôtres et nous rémunèrent en tant qu'opérateur du service."Les données peuvent aussi servir à s'attaquer à des problématiques locales propres aux territoires. "On sait qu'il y a un vrai problème de désertification des centres et des petits commerces," rappelle Jean-Marc Lazard. "Les élus ont l'impression de subir et se demandent ce qu'ils peuvent faire. Il faut déjà comprendre d'où les gens viennent et où ils partent. C'est possible en analysant les données de Waze et des opérateurs télécoms sur les flux de population." Autre exemple donné par Jean-Marc Lazard, dans le pays d'Oc : des viticulteurs concurrents se sont associés pour partager les données de leurs exploitations, notamment pour mieux anticiper les conséquences de la météo sur leurs cultures. Si les problèmes des campagnes sont différents de ceux des villes, le numérique et les données leur offrent les mêmes opportunités de les régler.